
Borborygmes
Avec Sofia Batko, Estelle Benazet Heugenhauser, cl✰ra, Helena de Laurens, Star Finch, Hedwig Houben, Lisa Lecuivre et Nicole
Dans le cadre de l’été culturel de la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France – Ministère de la Culture.
Dans le cadre de l’exposition « L’indomptable Main » d’Hedwig Houben, les artistes de ce programme sont invité·es à présenter une série de performances, de lectures et d’ateliers de pratique artistique depuis lesquels sonder les territoires ambigus de la gêne, du dégoût et de l’imprévu corporel. Explorant les formes et les résistances du corps face aux normes esthétiques et sociales, cette programmation se propose d’explorer le lâcher-prise dans sa puissance critique et libératrice.
Programme :
• De 16h à 17h
« De l’hystérie comme langue symptômale aux poétiques féministes : arts, corps, écriture. »
Conférence de Sofia Batko.
• De 17h à 18h
Discussion avec Hedwig Houben, Émilie Renard et Vincent Enjalbert autour de l’exposition « L’indomptable Main ».
• De 19h à 22h
Soirée « Borborygmes »
Lectures, performances et DJ set
Avec Nicole, Lisa Lecuivre, Estelle Benazet, Helena de Laurens, Star Finch et cl✰ra
On appelle borborygmes, les bruits qui, remontant de nos intestins, font entendre les liquides et les gazs des aliments que notre corps travaille plus ou moins laborieusement à transformer et digérer. On en conviendra, et bien que nous ne soyons pas tous·tes égaux·les face aux aliments, à l’heure de la digestion, une purée n’aura pas la même sonorité qu’un poivron cru… Burrrp, beuuuurp, beuuuurglll sont autant d’onomatopées qui convoquent les remues sonores de la matière en train de transmuter dans les arcanes de nos entrailles. Une machinerie de chairs faites d’acides et de liquides en tout genre qui rappelle à nos esprits, volontiers dans le déni, qu’un corps fonctionnel est un corps qui produit miasmes et gargouilles en nombre. Il est loin le mystère de l’alchimie, la mécanique de l’étron en devenir se fait entendre non sans bas bruits. Plus le son sera fort, durable et roulant, plus la gêne sera grande et avec elle, le dégoût de donner à entendre à d’autres l’image de son intérieur à l’œuvre. Inscrivant sa texture oratoire dans l’espace du dehors, le corps parle et s’écrit lui-même donnant à sentir le remugle de son langage. C’est ainsi que, bien malgré nous, les sons dégoulinent et débordent, tandis que les sourcils se froncent, les narines se dilatent et la lèvre supérieure se relève.
Dans sa performance Borborygmus¹, Hedwig Houben parle des borborygmes comme d’une manifestation du IT en elle : « IT, explique-t-elle, devant une table sur laquelle il y a des formes de viscères de couleur argile, est cette chose multiple, indéfinie et en devenir. (…) C’est comme si quelque chose avait réussi à entrer dans (m)on corps. Mais comment ? Et qui ? Et quoi ? »².
Au-delà de la simple anecdote ou de l’aparté, le borborygme — ou toute autre décharge phonique corporelle — convoque le langage d’un corps qui tremble, pompe et ondule au rythme des flux de son « maintenant ». D’un corps devenu momentanément autre, qui s’emballe et ne semble en faire qu’à sa tête. Quelque chose se manifeste qui, malgré nous, s’immisce dans notre logorrhée, la fait dévier, lui imposant interruption, reprise ou toussotement gêné. Quelque chose doit sortir, au sens propre comme au figuré, qui suscite gêne, dégoût de soi — ou de l’autre — perte de contrôle et étrangeté à soi. Que faire de ce IT ? Faut-il le dompter, le faire taire, le laisser faire ou lui ménager une place propre ?
À propos d’une autre forme de décharge, qu’est la gerbe, la poétesse américaine Dodie Bellamy affirme ainsi « c’est le chaos, c’est imprévisible, mais tu le sens dans tes tripes : ça va quelque part. Tu peux pas l’arrêter… Tu dois juste la laisser suivre son cours »³. Et si, ce qui nous dérangeait le plus, n’était pas tant cette découverte d’une intériorité autonome, que les regards alentour, traversés par la gêne, le dégoût et le jugement… Voilà déjà que pointe la morale, bâtissant ses fondements sur une réaction physiologique avancée comme « naturelle ». Expériences limites, installées aux frontières du pensable ou de l’acceptable, la gêne comme le dégoût convoquent à elles deux cette dimension morale fondatrice qui ordonne, redresse et fait tenir les corps. Peut-être nous faut-il déplacer la focale, laisser faire ce corps indocile pour interroger la gêne et le dégoût comme de puissants outils d’analyse des hiérarchisations et des discriminations que permettent leurs emplois sociaux et politiques. Comment le laisser-aller peut-il devenir une position intellectuelle, une méthodologie avec ses propres priorités esthétiques et politiques ? Qu’est-ce que cela signifie d’insister sur le désordre, l’improvisation et le lâcher-prise, pour ce que cela peut provoquer en nous comme chez les autres, comme moyen de critique culturelle et d’engagement politique ? Alors qu’on les croit spontanées et hors langage, ces manifestations corporelles et la gêne qu’elles suscitent ne sont-elles pas le fruit de nos habitus sociaux ? C’est précisément parce qu’elles habitent (ou sont reléguées) dans les franges sombres de nos comportements sociaux que nous avons besoin collectivement de les travailler, que nous avons besoin de mots pour les raconter, d’images pour les saisir, de gestes pour les rejouer. Ce programme vise à défaire et interroger les normes comportementales et esthétiques qui façonnent nos imaginaires.
Elena Lespes Muñoz
¹ Réalisée pour la première fois en 2017, puis reproduite pour l’exposition « La langue de ma bouche » à la Galerie de Noisy-le-Sec en 2018, commissariat : Émilie Renard.
² Citée par Marie Canet, in « Alter-it », journal de l’exposition « La Langue de ma bouche », op. cit.
³ “The barf is messy, irregular, but you can feel in your guts that it’s going somewhere, you can’t stop it… you’ve just got to let it runs its course.”, in Dodie Bellamy, Barf Manifesto (New York: Ugly Duckling Presse, 2010), p.30. Ma traduction.
Sofia Batko
Sofia Batko (LEGS) est titulaire d’un master de philosophie de l’Université PSL et d’un master de psychanalyse de l’Université Paris Cité. Elle termine actuellement un doctorat en études de genre et philosophie à l’Université Paris 8. Sa thèse porte sur la réinvention de l’amour dans le féminisme français des années 1970, en particulier dans la littérature de Monique Wittig et d’Hélène Cixous, à partir d’une lecture de l’enseignement de J. Lacan. Ses recherches se situent à l’intersection de la philosophie et la psychanalyse avec un intérêt particulier pour les questions liées au genre et aux sexualités. Elle est l’autrice de l’article Quelques pistes pour une relecture féministe de la figure de l’hystérique dans la psychanalyse publié dans la revue Psychologies, genre et société.
Estelle Benazet Heugenhauser
Estelle Benazet Heugenhauser est une écrivaine, chercheuse et performeuse franco-autrichienne. Dans ses textes, sont mis en scène des corps à l’épreuve. Désir, faim, dépense, violence génèrent l’action. Son travail d’écriture mêle théorie et fiction. Il est diffusé sous forme de livre (Le Régime parfait, Rotolux Press, 2022 ; Bêcher son visage, 2020, éd. La Chambre verte) ; dans des revues (TrouNoir, La Déferlante, Jef Klak, Sabir, A.O.C.) ; lors de lectures performées (Point Ephémère, Les Subs, Centre Pompidou, Villa Médicis Académie de France à Rome, Franco-Irish Literary Festival) ou de conférences. Sa recherche doctorale en théorie et pratique de la création littéraire s’intitule : « Écrire avec les Affamées, manières de (se) nourrir dans la littérature contemporaine ». Y est mis en lumière l’exercice du pouvoir autour de l’acte de manger, de la préparation à la consommation, au croisement des biopolitiques d’incorporation. E.B.H. travaille actuellement à son prochain roman Taurine. Chaque semaine, la protagoniste Christa, guide sportive et culturelle à Salzburg (Autriche) applique son programme. Le matin, elle fait suer son groupe de touristes lors de séries d’exercices de gymnastique. L’après-midi, elle les gave d’histoires nationales lors de visites de monuments patrimoniaux. Entre les apparitions protéinées d’Arnold Schwarzenegger et de l’Impératrice Sissi sous Redbull, Christa se remémore ses propres pulsions gastro-nationalistes, hantée par différents paysages européens, de l’Autriche à l’Italie, au sud de la France.
cl✰ra
cl✰ra est DJ aux sélections fluides. Elle navigue entre différents styles et énergies : des sets rapides et percussifs aux ambiances plus lentes, texturées et introspectives. Du trip hop à l’idm, en passant par la bass, la dub techno et des sons plus expérimentaux, elle cherche à créer des moments d’écoute intenses et sensibles.
Depuis 2024, elle développe kiki radio, une plateforme dédiée à l’expérimentation radiophonique, basée entre la France et l’Italie. kiki documente le travail de musicien·ne·s et DJ underground, en offrant un espace de connexion à travers le son. L’objectif est d’explorer le rôle des pratiques radiophoniques dans les contextes contemporains, en ligne et hors ligne, tout en préservant son héritage en tant qu’outil de communication culturelle et sociale.
Helena de Laurens
Helena de Laurens est comédienne, danseuse et chorégraphe. Son travail explore le grotesque, la métamorphose et les façons dont le visage est mis en scène au théâtre et dans la danse. Elle a suivi des cours d’Art Dramatique au Conservatoire Erik Satie (Paris) et a consacré un mémoire à Valeska Gert dans le cadre d’un Master en Histoire culturelle de la danse à l’EHESS La grimace et l’inouï : danse et visage chez Valeska Gert. Elle joue ses performances dans des cabarets, des musées, des jardins et des librairies. Elle collabore régulièrement avec Esmé Planchon, Clara Pacotte et Sophie Bonnet-Pourpet. En 2018 elle est en résidence à la Cité Internationale des Arts à Paris. En tant qu’interprète et chorégraphe elle joue deux solos écrits et mis en scène par Marion Siéfert : Le grand sommeil (2018) et _jeanne_dark_ (2020) qui a reçu le Prix numérique (mention spéciale pour le spectacle) 2020/2021 du Syndicat Professionnel de la critique de théâtre, de musique et de danse. En juin 2021 elle crée une performance à partir de La Voix humaine de Jean Cocteau au Centre Pompidou dans le cadre de l’événement « Tableaux Vivants ». En 2022 elle joue aux côtés de Emmanuelle Lafon et de Frédéric Leidgens dans L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer de Copi dans une mise en scène de Thibaud Croisy. En 2023 elle joue dans Cabaret Brouillon de Loïc Touzé. En 2024 elle crée une performance intitulée Toujours pas prête au Théâtre de Gennevilliers dans le cadre du week-end de performances Sur les bords 8. Au printemps 2026 elle interprètera Adela dans La Maison de Bernarda Alba dans une mise en scène de Thibaud Croisy.
Star Finch
Né·e aux Etats-Unis et basé·e à Paris, Star Finch est auteur·ice et performeur·euse des textes expérimentaux-porno-weirdo, au croisement de la théorie et de la poésie. Ses performances littéraires sont régulièrement présentées dans des institutions artistiques en France comme à l’étranger (Palais de Tokyo Paris, ICA Londres, CAPC Bordeaux, Badischer Kunstverein Karlsruhe). Sa recherche en cours porte sur le vomi et le gode, et de comment ces matériaux fonctionnent en tant que technologies littéraires. Docteur·e en études de genre, iel a soutenu en 2024 à Paris 8 une thèse consacrée aux queerféminismes littéraires de Kathy Acker, Hélène Cixous, Violette Leduc et Audre Lorde. Avec le collectif d’autriX queer RER Q, iel explore la mise en performance des textes littéraires sexuellement explicites, enragés et tendres. Son livre de poésie Crache dans ma bouche puis crache dans mon autre bouche est sorti en 2024 chez Les petits matins. Son premier roman, Fuck Me Judith, sort chez After 8 Books tout bientôt. Ses autres projets littéraires incluent Kathy Acker 1971-1975 (Éditions Ismael, 2019) et des contributions à Lettres aux jeunes poétesses (l’Arche, 2021) et Kathy Acker : Get Rid of Meaning (Verlag der Buchhandlung Walther und Franz König, Cologne, 2022). Avec sabrina soyer, elle a traduit la poétesse Lisa Robertson vers le français, dans Debbie : une épopée (Joca Seria, 2021).
Hedwig Houben
Hedwig Houben (1983) est une artiste néerlandaise qui vit et travaille à Bruxelles. Elle crée des performances filmées dans lesquelles elle explore les relations entre sujets et objets et le rôle que ces derniers jouent dans le façonnage de notre identité. À partir de sculptures en plasticine malléable qu’elle fait et défait, elle dialogue avec ces créations en perpétuelle évolution ou avec elle-même dans un flot de parole maitrisé, déjouant les codes et les attentes des conférences et prises de parole officielles.
Son travail a été présenté dans le cadre d’expositions et de projets tels que : « SWEEP, TAP, SWOOOOOP » au MHKA, Anvers (2019), « You and I » à Spike Island, Bristol (2016), « UnScene », au Wiels, Bruxelles (2015), « Don’t You Know Who I Am ? Art After Identity Politics», MHKA, Anvers (2014), « Six Possibilities for a Sculpture », La Loge, Bruxelles (2013). Avec Émilie Renard, elle a participé à quatre expositions collectives : « Le corps fait grève » à Bétonsalon (2021), « Tes mains dans mes chaussures » (2016-2017, cocur. Vanessa Desclaux) et « La langue de ma bouche » (en duo avec Jean-Charles de Quillacq, 2018) à La Galerie, centre d’art contemporain, Noisy-le-Sec et « The Bridegroom Suites » (cocur. Hugues Decointet, avec la Guy de Cointet Society) lors de Performance Day au Centre d’art de la Ferme du Buisson, Noisiel (2019).
De 2015 à 2023, elle a enseigné au département Art et Recherche de l’école d’Art et de Design St. Joost, à Breda, aux Pays-Bas, un poste qu’elle a quitté récemment, tout comme elle a quitté sa galerie en 2020. Depuis 2019, elle s’est associée avec Rob Leijdekkers et Brenda Tempelaar pour articuler une réflexion sur des conditions de la production artistique à partir d’expériences collectives. Aujourd’hui, à côté de sa pratique artistique, elle restaure des meubles.
Lisa Lecuivre
Lisa Lecuivre explore les zones d’ambiguïté, les récits fragmentés, les logiques dissonantes — et affectionne ce qui échappe à la lecture immédiate. À partir d’anecdotes, de faits divers ou de rencontres fortuites, elle construit des dispositifs où le réel vacille, se déforme, se réinvente. La voix, souvent présente dans son travail, devient un vecteur d’associations libres, de glissements de sens, de projections mentales quasi hallucinées. Elle interroge le besoin de sens, tout en cultivant les formes d’apories : quand l’accumulation d’informations empêche toute prise de position claire. Son travail cherche moins à trancher qu’à faire apparaître la complexité du monde, dans ses tensions, ses contradictions et ses étrangetés.
Nicole
Nicole est née en 1997 à Quito, Équateur. Vit et travaille à Paris. Elle explore les stéréotypes d’exotisation et la domination du regard à travers la vidéo, la performance et l’installation. Son travail joue avec les codes de l’érotisme, du fétichisme et du personal branding en ligne, dans une approche conceptuelle et subtile qui recompose les liens entre intimité, spectacle et pouvoir. Diplômée des Beaux-Arts de Paris (DNSAP, 2024). Son travail est actuellement présenté chez Marcelle Alix (Paris) dans l’exposition « El fantasma de Tennessee » (2025). Elle a également exposé au FRAC Île-de-France, à Bétonsalon, Exo Exo et à la Bienal de Maia. En 2025, elle figure en couverture de Art Interrupted, édition Línea Recta.
The Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France – Ministère de la Culture
Conférence de Sofia Batko, dans le cadre de l’exposition « L’indomptable Main » d’Hedwig Houben et à l’occasion de l’été culturel 2025.
Performances de Nicole, Lisa Lecuivre, Estelle Benazet Heugenhauser, Helena de Laurens, Star Finch et cl✰ra.