Hibou TV Show Une proposition de Jean-Alain Corre avec la complicité de Gaëlle Obiégly
6 février — 18 avril 2026
Sur la scène d’un plateau de télévision déserté, un semblant d’Alf ¹ git, attendant son éventuel retour sur les ondes. Molle effigie d’une gloire cathodique quelque peu désuète autant que controversée, le muppet apparaît en rébus d’une activité télévisuelle suspendue dans l’attente de sa possible reprise. Au sein d’un dispositif scénographique composé de textiles flottants² , entre une table de studio faite de boîtes à pizza, une série d’écrans diffusant les images de la chaîne Hibou TV et son émission phare, des costumes abandonnés çà et là et une régie technique inoccupée, se déploie un environnement liminal qu’habite maladroitement la figure familière de l’extraterrestre. À mi-chemin entre le décor de talk-show et l’installation, la nouvelle proposition de l’artiste Jean-Alain Corre à Bétonsalon invite autant à la rêverie qu’à l’action. Prise entre la nostalgie d’un mass media à l’obsolescence annoncée et un désir d’investir et de poursuivre le jeu télévisuel, l’exposition donne à voir les restes du Hibou TV Show³ , une émission aux allures fantasmatiques, coécrite avec l’auteure Gaëlle Obiégly, qui voit se côtoyer Alf, une grand-mère, un livreur de pizza qui deviendra présentateur TV, de vieilles publicités, les actualités, l’amour, le monde du travail et les astres. En adoptant la forme du talk-show, émission télévisée entièrement centrée sur l’acte de conversation lui-même (the talk is the show), Jean-Alain Corre poursuit une exégèse poétique, tâtonne et bavarde de la télévision. « Hibou TV Show » se place dans la filiation des « télévisions d’accès public », développées par des collectifs d’artistes au cours des années 1970 en particulier aux États-Unis. La boîte télévisuelle y devient à la fois une caisse de résonance pour des problématiques sociales et politiques peu relayées par les chaînes mainstream, et un laboratoire de formes plus expérimentales à l’intersection de différents genres médiatiques⁴ . Se revendiquant d’une certaine esthétique do-it-yourself et d’un humour potache, ces collectifs font la part belle aux effets de distorsion, disruption et brouillage du flux vidéo. En parodiant certaines émissions populaires, en spectacularisant des performances artistiques et en intégrant des « hors champs » qui dévoilent l’envers du décor et l’équipe technique, ils exposent la mécanique de production des images dans toute leur matérialité et leur grammaire visuelle. Par sa mise en scène modulaire, sa nature profondément collaborative et sa grille de programmation malléable, la chaîne Hibou TV se veut cumulative et auto-réflexive. Elle accueille des vidéos co-réalisées avec des enfants, des familles, des élèves (avec l’école élémentaire Émile Levassor, Paris, 13ème), des étudiant·es et travailleur·ses de l’Université Paris Cité et de l’École nationale supérieure d’arts de Paris Cergy, ainsi qu’avec l’équipe de Bétonsalon. Aux côtés de ces vidéos se déploient d’autres formats — capsules, mires, bandes images générées avec une IA — qui viennent déployer un imaginaire commun de la télévision populaire. On y retrouve les références à des émissions emblématiques (Tournez Manège, Le Juste Prix, Le Bigdil), à des films de l’après-midi (Sister Act, Ghost), aux séries et sitcoms (Beverly Hills, Premiers baisers, Hartley, cœurs à vif), ainsi qu’à des réclames d’antan. Ensemble, ces matériaux contribuent à étendre et enrichir le lore⁵ de Jean-Alain Corre. Ce « fond de poche » de la télévision, hérité d’une époque et de ses affects aussi joyeux qu’aliénants, est ressaisi ici dans une approche hantologique⁶ et sensible. Ces productions collectives seront diffusées à la fois dans l’espace d’exposition et en streaming. Le choix d’un second canal de diffusion, via la plateforme Twitch — où se rassemblent des communautés actives autour de formats notamment hérités de la télévision — répond à un double objectif : s’infiltrer dans un réseau existant en jouant avec ses codes et favoriser une forme d’interaction directe avec les internautes via la logique du feedback (et du commentaire instantané en ligne) au cœur des « télévisualités » expérimentées dans le champ artistique⁷ . Derrière ce basculement technologique, on observe pourtant un glissement des affects : les émissions populaires d’hier semblent habiter, voire hanter les productions audiovisuelles d’aujourd’hui, dans un mouvement nostalgique, réel ou feint, brouillé par les mirages que l’intelligence artificielle génère à partir de ses vestiges mémoriels flottant dans nos esprits. (pour transformer la télévision en un terrain de lutte médiatique et un outil de déconstruction de certains tropes culturels. ? ) Avec la Hibou TV, Bétonsalon devient dès lors le plateau d’un talk-show résolument ouvert, où l’improvisation tient un rôle central. Jusqu’au-boutiste dans la dimension collective de son dispositif, Jean-Alain Corre invite également l’équipe de Bétonsalon à occuper ce plateau. Dans une horizontalité joyeusement foutraque, tout ce qui se passera à Bétonsalon pourra — ou devra ? — se prêter au jeu de la mise en scène télévisuelle : conférences, arpentages, rencontres, ateliers, visites, réunions, etc., déjouant par-là les hiérarchies instituées entre ce qui se donne à voir au centre d’art et ce qui se passe dans les hors-champs de l’institution. Animée par des acteur·ices non professionnel·les et autres téléphiles excité·es, la chaîne Hibou TV explore la malléabilité des rôles et les dynamiques d’apprentissage collectif. À travers ce prisme, nos programmes se reconfigurent, nos positions se réajustent entre salle, plateau et coulisses, cherchant de nouvelles formes de redistribution. Il s’agira de fabriquer des shows amateurs et d’y jouer avec sérieux, pour y trouver en retour le miroir déformant de nos propres organisations et projections. Jouer à faire de la télévision sera ici aussi important que les images produites (the making is the show). En mobilisant les codes et le paradoxe de proximité que confère le talk-show, Jean-Alain Corre crée avec « Hibou TV Show » un terrain pour explorer les contradictions de nos expériences télévisuelles. Il poursuit ainsi le travail entamé par Johnny, sorte d’avatar fictif de l’artiste et « anti-héros un peu weirdo »⁸ , qui déjà multipliait les tentatives pour « continuer de faire vivre (ces) machine(s) »⁹ qui animent nos quotidiens, nos rythmes et nos imaginaires. Dans sa démarche obstinée pour « transcrire la syncope vaporeuse d’une certaine époque »¹⁰ , le « Hibou TV Show » nous invite à nous enfoncer dans la boîte noire de nos fantômes télévisuels comme pour cesser d’en lécher la surface et mieux jouer de ses « promesses de scintillements ».¹¹ Vincent Enjalbert, Elena Lespes Muñoz et Émilie Renard
Hibou TV Show - Bétonsalon
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