J’accède à l’Ange par ton extase Klonaris/Thomadaki
26 septembre — 14 décembre 2024
Depuis les années 1970, Maria Klonaris et Katerina Thomadaki ont célébré la puissance de ce qu’elles appellent des « corps dissidents », c’est-à-dire des corps dont la différence ébranle les systèmes normatifs, à travers des œuvres hybrides et protéiformes qui elles-mêmes défont les frontières établies entre les médiums artistiques, les cultures et les champs des savoirs. Leur « cinéma corporel » a d’abord été le lieu de l’affirmation d’une « féminité radicale », capable de « déchirer tout ce qui pèse sur elle et la contraint », à commencer par l’opposition binaire entre masculin et féminin. Par la suite, elles ont développé d’importants cycles d’œuvres inspirés par d’autres figures de la dissidence comme celles de l’Hermaphrodite (1982-90), de l’Ange intersexe (1985-2024) ou des Jumeaux fusionnés (1995-2000). En révélant le pouvoir qu’ont ces figures de transgresser les normes symboliques mais aussi biologiques et anatomiques, Maria Klonaris et Katerina Thomadaki ont très tôt dénoncé l’idéologie de la « nature » comme un ordre figé, anticipant les débats et théories actuels sur le genre et la matérialité des corps. Aujourd’hui, à Bétonsalon, dix ans après la disparition de Maria Klonaris, Katerina Thomadaki revisite et prolonge le Cycle de l’Ange, un vaste ensemble d’œuvres dans différents médias qui prend comme point de départ la photographie médicale d’une personne intersexe qu’elles associent à l’imaginaire de l’ange, faisant de iel « le messager de l’effondrement des limites des sexes ». Dans ces œuvres, le corps de l’Ange est sujet à d’infinies métamorphoses et hybridé avec des photographies astronomiques. Iel ne se laisse pas réduire à un objet d’observation, pathologisé·e par le regard médical, mais affirme son caractère multiple et insaisissable. À travers leurs interventions sur cette « image matrice », Klonaris/Thomadaki donnent forme à l’infini des possibles qui s’ouvre lorsque l’on parvient à dépasser le régime binaire de la différence sexuelle. Mais si l’Ange acquiert ainsi une dimension cosmique emblématique, les deux artistes expriment également la souffrance réelle éprouvée par ce corps stigmatisé à cause de sa différence. Les œuvres se tiennent dans une tension entre catastrophe et liberté, implosion et explosion, violence et émancipation. Emprunté à la bande sonore de la performance de cinéma élargi Mystère II : Incendie de l’Ange, le titre de l’exposition insiste sur l’intensité de la relation entre les deux artistes, et avec cet Ange qui les a fascinées pendant quatre décennies au point de chercher à incarner « un devenir angélique » dans certaines vidéos du cycle. La référence à l’extase, du grec ek stásis, littéralement « sortie d’un état statique », souligne combien l’expérience amoureuse engendre un débordement du sujet, un dépassement des limites entre le soi et l’autre mais aussi entre le masculin et le féminin, l’humain et le non-humain, l’imaginaire et le tangible. L’extase évoque également l’état transformé que cherchent à susciter les œuvres de Klonaris/Thomadaki ; la sortie d’un régime perceptif régi par la fonctionnalité et la mise à distance rationnelle en faveur d’une plongée nocturne dans un univers à la fois politique et éminemment poétique. Cette exposition s’inscrit dans le cadre d’une recherche au long cours portée par Bétonsalon sur l’œuvre de Klonaris/Thomadaki considérée à travers le prisme de la performance et de son rapport à la question du genre et de l’identité.
J’accède à l’Ange par ton extase - Bétonsalon
J’accède à l’Ange par ton extase - Bétonsalon
J’accède à l’Ange par ton extase - Bétonsalon
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SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles Florian Fouché
24 janvier — 19 avril 2025
Nouvelle itération de SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE activé en mars 2024 dans l’atelier de Florian Fouché à Paris puis au centre d’art GwinZegal à Guingamp en octobre, cette exposition s’inscrit dans le prolongement du Manifeste Assisté, une vaste enquête à la fois perceptive et documentaire sur la « vie assistée » commencée en 2015 et présentée à Bétonsalon, dans l’exposition collective « Le Corps fait grève » en 2021. Elle trouve son origine dans le parcours de soins de Philippe Fouché, le père de l’artiste, devenu hémiplégique suite à un accident vasculaire cérébral et qui, accompagné dès lors par son fils au quotidien, est devenu le protagoniste d’« actions proches » où se redistribuent les rôles de soin et les positions d’assistance. Prenant acte des fermetures quasi simultanées de l’EHPAD Robert Doisneau à Paris qui accueillait Philippe Fouché et du Centre Pompidou en 2025, Florian Fouché identifie des correspondances critiques et des défaillances communes entre deux systèmes du secteur public français, la santé et l’art. Dans cette exposition à Bétonsalon, Florian Fouché articule la relation que les corps entretiennent avec l’espace médical et l’espace muséal, face au démantèlement progressif des dispositifs de soin en faveur des personnes les plus vulnérables, à l’instar de l’A.M.E¹ (Aide Médicale d’État), l’érosion progressive de la Sécurité sociale et la précarisation des institutions culturelles publiques. L’histoire de l’atelier de Constantin Brâncuși sert de toile de fond à cette exploration : situé à l’origine impasse Ronsin à Paris, il a été détruit après la mort de l’artiste afin d’y accueillir une aile supplémentaire de l’hôpital Necker – Enfants malades puis fut reconstitué au pied du Centre Pompidou, par Renzo Piano en 1997. Tourné dans cette version de l’atelier reconstitué de Brâncuși en 2022 et présenté dans l’exposition, le film Vie institutionnelle établit un parallèle entre l’architecture de l’hôpital et la scénographie pensée par Renzo Piano mettant en évidence la motricité des corps régie par des couloirs de circulation, une mobilité tantôt empêchée tantôt désirée ou forcée qu’il met en relation avec certaines sculptures de Brâncuși, elles-mêmes couchées, dressées ou assises. Cette réflexion portée sur les relations entre biopolitique et muséographie trouve une filiation avec le concept du « musée antidote » développé par l’ethnologue Irina Nicolau au Musée du Paysan Roumain à Bucarest, qui sert de cadre à une enquête photographique et plastique débutée par l’artiste en 2012. À rebours du « musée-hôpital » au sein duquel les oeuvres sont figées et mises à distance du public afin de garantir leur bonne conservation, la scénographie pensée par Irina Nicolau favorisait une forme d’éducation populaire par des mises en espace singulières, faisant éclater la vision folklorique et nationaliste portée sur les cultures vernaculaires comme sur l’oeuvre de Brâncuși promue par le régime communiste roumain avant la révolution de 1989. Dans une perspective analogue, cette exposition vise à rendre palpable les « vies institutionnelles » des personnes et des oeuvres qui peuplent ces espaces liminaires et qui se voient confrontées, dans le cas de « Philippe » comme des sculptures extraites de l’atelier original de Brâncuși, à une forme de translation des corps, passant d’une prise en charge médico-muséo-institutionnelle à une autre. Par ailleurs, si l’enfance occupe déjà une place cruciale dans les recherches de Florian Fouché autour des expérimentations pédagogiques menées par Fernand Deligny dans les Cévennes avec des enfants autistes et en marge de la société, elle trouve dans cette exposition un champ d’expression d’autant plus prégnant et politique. En effet, un ensemble de nouvelles sculptures (Enfants délinquants à la naissance, 2024) fait directement référence au rapport, très critiqué, de l’Inserm de 2006 visant à détecter de futur·es délinquant·es parmi des très jeunes enfants par des analyses comportementales biaisées, et ayant servi de base à un projet de loi (non votée) proposé la même année par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Ce rapport et cette proposition de loi s’inscrivent dans une longue généalogie des théories biologiques de l’hérédité remontant au concept de « criminel-né » du criminologue italien Cesare Lombroso (1887), expressions d’une extrême-droitisation du discours politique en France. En dialogue avec ce contexte historique, des oeuvres réalisées à partir d’éléments de mobilier urbain et de signalétiques interrogent les normes sociales qui induisent certaines formes de déplacement, déterminent les usages de l’espace public, souvent selon un prisme validiste, excluant des mobilités qui ne peuvent ou refusent de s’y conformer. En interaction avec cet ensemble d’oeuvres se dessine une nouvelle configuration physiologique, relationnelle voire « orthopédique » des corps en présence/absence dans l’espace d’exposition face aux mutations sociétales qui les régissent, à l’échelle des individus comme de l’imaginaire collectif.
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
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